Remontons dans le temps pour découvrir l'histoire du Donjon

Comment cette forteresse a-t-elle disparu ? Au cours d'une bataille ? Pillée par les vagabonds des "Grandes Compagnies" ? Par de vulgaires brigands, vivant de rapines ou simplement, et selon toute apparence, abandonnée au cours du second quart du XVIe siècle ?

On signalait qu'en Bourbonnais, des hordes creusaient d'immenses fosses pour y allumer de grands feux, nuit et jour. On les appelait "l'enfer". Devant des récalcitrants, le chef de bande commandait : "Menez-les en enfer". Par la crainte du supplice, les paysans abandonnaient tous leurs biens, Près du Donjon est un lieu-dit appelé "l'Enfer". Est-ce un simple hasard ?

Une lithographie de la seconde moitié du XVIIIe siècle montre qu'au Nord-Est de l'église subsistait, alors, une tour, imposante par sa hauteur, ressemblant à une tour de guet. Cette tour désigne l'emplacement exact du château qui, situé "à la limite du duché de Bourbon", devait être important. En cas d'alerte, son enceinte dut souvent servir de refuge aux populations environnantes et à leur bétail. Un chroniqueur du XVe siècle écrit que cela se produisait si fréquemment que non seulement le vilain et le serf, travaillant dans le "plat pays", se précipitaient vers l'enceinte au moindre avertissement de la trompette du guetteur, mais que même les "boeufs et les chevaux de labour, une fois détachés de la charrue, quand ils entendaient le signal, instruits par une longue habitude, regagnaient au galop, affolés, le refuge. Brebis et porcs avaient pris la même habitude".

En 1793, elle fut vendue comme bien national et démolie "pour construire des logements à bon marché". Des deux édifices, château et église, il ne reste rien.

Au Nord de l'église et du cimetière, un petit bâtiment, d'une seule pièce, à croisillons de bois, fut donné en 1635 au curé par Antoine Poncet et sa femme, "à charge de dire, à leur intention, un salve Regina tous les dimanches". Un logis attenant fut acheté ensuite et le tout, restauré en 1785, servait de vicairie. Cette petite maison existe encore.

La cure, bâtie près du chevet de l'église, dominait le Donjon ; elle subit, au cours du temps, de nombreuses restaurations et fut parfois sauvée de justesse d'un complet délabrement. Elle fut même déplacée car, pendant un certain temps , elle fut accolée à la chapelle, côté sud de l'église. En 1774, un nommé Marion, possesseur d'un jardin en contrebas, le long du chemin conduisant à la "locaterie du Plessis", y fit construire pour servir de grenier à sel un bâtiment couvert d'une toiture élevée "afin de masquer la cure et lui enlever le jour et la vue". La cure fut alors construite en retrait et, depuis, souvent remaniée. Un petit bâtiment servait d'écurie, de remise et de grange pour la dîme.

En 1626, le curé Charnay obtenait de Jean de Saulx, Vicomte de Tavannes, Baron du Donjon, "sans autre condition que celle de prier Dieu pour le seigneur et pour tous ceux de sa maison", la jouissance d'un terrain situé "entre les deux fossés, du côté de bise, vers le portail, qui se trouvait près du chemin allant de Monétay au Donjon" ; il fit planter une oeuvre de "vigne noire" et sur le terrain longeant les fossés à l'Ouest, une autre vigne ; le reste de l'enclos fut converti en verger. Dans les fossés, des pêcheries, pour la conservation du poisson, furent aménagées.

Mais ce couvent "de filles" perdit de son importance au moment où il passa dans les mains des Carmélites de Moulins, en 1780. A la Révolution, il fut supprimé. Tout ce qui appartenait à ces religieuses, au Donjon, ainsi que leurs domaines des Gâteliers, fut vendu comme bien national. Elles avaient possédé, sur Bert, le domaine des Rebourgeons, mais elles l'avaient cédé au XVIIIe siècle aux Carmélites de Moulins. Les bâtiments du couvent étaient alors en très mauvais état.

Suivant les quais, on entrait dans la "rue Basse" où se trouvaient de grosses maisons avec des jardins, ainsi que des tanneries du côté du Midi. Dans cette rue se voit encore une importante habitation avec une tour d'escalier à vis ; elle appartenait à la famille Gallay.

Vers l'Est, la route franchissait la Lodde à gué, se dirigeant sur Digoin. Une croix était élevée au croisement d'un petit chemin, qui s'amorçait là, pour conduire au moulin de l'Epine, qu'un grand étang alimentait encore au début du XVIIIe siècle.

Au Sud-Est du Donjon coule un petit ruisseau, le Salièvre (saut de lièvre), qui s'épara, jusqu'à la Révolution, Le Donjon de la paroisse d'Huillaux. La Guillotière et la Tireuse, Contresol, les Prats, étaient de cette paroisse. Son église, souvent mal entretenue, avait deux chapelles, l'une dédiée à sainte Radegonde, du côté de l'épître, l'autre, moins ancienne, dédiée à saint Philippe.

L'agglomération était faible, mais on y voyait une maison importante, celle de la famille Pélassy, famille également "possessionnée" à la Tour, à l'Ouille et aux Fayettes. La prieure de Marcigny percevait des dîmes du prieuré et de la seigneurie d'Huillaux.

Le dernier curé de cette paroisse fut Xavier Laurent qui, en 1789, "envoyé à Paris pour siéger aux Etats Généraux du Royaume", y prononça, le 14 avril, un discours "que l'on jugea digne d'être imprimé". "Sacré évêque constitutionnel le 13 février 1791 en la cathédrale de Moulins, il y officia, avec un bonnet rouge et une pique, il accompagna Fouché, en 1793, dans des processions sacrilèges", finalement, en brumaire an II, il jeta le froc en "déposant sur le bureau du Comité de Surveillance du Département les hochets de l'orgueil sacerdotal et les éléments du fanatisme" et se maria. Retiré d'abord à Yzeure, Xavier Laurent mourut, misérable, à Clermont, le 10 mai 1821.

En allant vers Huillaux, le chemin côtoyait une motte, toujours visible à Costière. Un aveu rendu en 1457 mentionne "l'héritage de Cocheterre, où il y a une maison choffoëre, grange, vacherie et four et le pourcaingt autour".

En 1606, il est question de l'église Melleray comme église paroissiale. "L'église du Donjon", est-il dit, "n'est que succursale de celle de Melleray, qui est l'église paroissiale". En 1766, il est encore écrit : "Il n'était pas possible de décider si la mère cure était Le Donjon ou Melleray, seulement Le Donjon était en possession immémoriale de loger le curé et on ne pouvait avoir la preuve qu'il y ait jamais au de logement pour le curé à Melleray". Melleray fut longtemps desservi par les Cordeliers, au milieu du XVIIe siècle notamment. Sa petite église, "pauvre et humide", maintenant chapelle particulière, était dédiée à Saint Martin.

Les paroisses d'Huillaux, de Melleray, et du Donjon ne furent réunies qu'en septembre 1791.

Près du Donjon et dominant toute la région, est édifiée la chapelle de Saint-Hilaire.

Il est dit que le premier sanctuaire du Donjon était cette chapelle. Au XIVe siècle, en effet, c'est sous le nom de "Sanctus Hilarius" que ce village était désigné dans un pouillé du diocèse d'Autun. Dans un autre document de la même époque, on apprend que Le Donjon, alors très peu important, a pour église paroissiale la chapelle de Saint-Hilaire, de l'archiprêtré de Pierrefitte. Cette chapelle est, en tout cas, fort ancienne. Mais si le choeur et l'avant-choeur, couverts de tuiles creuses et bordés d'une corniche à gorges en pierres de taille, peuvent être datés du XIe siècle, la nef, couverte d'un toit très aigu, qui lui donne beaucoup d'élégance, est du XVe siècle. En 1690, la chapelle est en "ruine et interdite". En 1771, elle est recouverte à taille ouverte aux frais du curé du Donjon.

Chaque année, le 13 janvier, se tenait au Donjon une foire dite de Saint-Hilaire. Comme jadis, le lundi de Pentecôte, des fidèles s'assemblent autour des tombes et se font lire, à l'intention de leurs défunts, l'évangile de ce jour (Saint-Jean, III, 16) : "Dieu a tant aimé le monde, qu'il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu'il ait la vie éternelle". En 1788, le cimetière de Saint-Hilaire ayant été agrandi, on y transféra celui qui bordait, au Donjon, l'église Saint-Maurice.

Les édifices religieux étaient nombreux avant la Révolution. Immédiatement autour de l'agglomération on pouvait noter, outre l'église Saint-Maurice, la chapelle des Cordeliers et le petit oratoire des Urbanistes ; outre les chapelles encore existantes de Melleray et de Saint-Hilaire, celles d'Huillaux, de la Tour construite en 1600 par Melchior Guillon, la chapelle particulière de Contresol, près de l'ancien château, celle des Plantais (Plantès), où officiait, vers 1651, un des curés du Donjon qui, ayant pris sa retraite, était venu "demeurer aux Plantès, pour enseigner les enfants de M. Préveraud". Elles sont aujourd'hui disparues.

Après les désastres qui ruinèrent Le Donjon au XVIe siècle, ce bourg, qui n'était pas paroisse, ne devait consister qu'en un groupe de pauvres maisons. Il avait dû son développement tout d'abord, à l'établissement du monastère des Cordeliers puis, au XVIIe siècle, à celui des Urbanistes de Sainte-Claire, mais surtout aux industries qui s'y installèrent : maillerie à draps, avec ses dépendances et, au milieu du XVIIIe siècle, tanneries et implantation de plusieurs artisans travaillant le cuir. Il y eut même une fabrique de clous. Des filatures du citoyen Francompret donnaient au Donjon, comme à Montmarault et à Cusset, du travail aux femmes qui en demandaient.

La "maison" de Saulx-Tavanne avait grandement contribué au développement du Donjon.

Un des membres de cette illustre famille, par contre, fut cause de la ruine complète de la baronnie alors bourguignonne de l'Espinasse.

Cette petite cité distante de quelques lieues au Sud-Est du Donjon fut, en effet, totalement anéantie en 1590 et "jamais reconstruite". C'est un évènement tout à fait caractéristique des moeurs du temps.

L'Espinasse était alors qualifiée de "considérable". Cette petite ville avait, en effet, pu résister en 1361 aux Anglais et 1441 aux "écorcheurs", "forts de 4000 chevaux".

(Il est curieux de noter que la paroisse de l'Espinasse, ainsi que celle de Saint-Forgeux et celle de Saint-Julien disparue, tout en devenant une enclave dans le Forez, continuèrent, à la demande expresse de leurs habitants, de dépendre de la puissante juridiction bourguignonne de Semur-en-Brionnais).

Pour ainsi disparaitre, que s'était-il donc passé à l'Espinasse ? Un sieur de Varennes, commandant les troupes catholiques, fut poursuivi, jusqu'à son enceinte fortifiée, par Guillaume de Saulx-Tavanne, lieutenant du Roi en Bourgogne, qui s'était déclaré, en 1589, partisan de Henri IV. Malgré son frère Jean, seigneur du Donjon, qualifié de "forcené ligueur", malgré aussi ce qu'avait été leur grand-père, Gaspard de Saulx-Tavanne, défenseur ardent des catholiques, lors de la Saint-Barthelémy et jusqu'à sa mort. Arrivant donc à la nuit près de la place forte de l'Espinasse, Guillaume de Saulx, ayant allumé un incendie, donna, à la lueur des flammes, l'assaut des remparts. Il pénétra dans la place et y "boutta le feu". Le désastre fut rapide et total ; toutes les maisons qui, alors, "étaient couvertes de paille" furent détruites. Il ne subsista que le donjon, toujours debout, et une chapelle disparue depuis lors qui était, dit-on, le tombeau de Saint-Rigaud, fondateur de l'abbaye de Saint-Rigaud, près de Charlieu.

Le donjon de l'Espinasse est une superbe tour, presque carrée, aux angles arrondis, qui s'élève, isolée, sur une des ondulations d'un pré où s'inscrivent encore l'emplacement et la forme de l'ancienne cité que bordait la Tessonne. Les particularités de cette tour, avec sa porte d'accès surélevée, avec l'absence de cloisons voûtées à l'intérieur permettent de la dater du XIe siècle. Comme au fameux château de Gisors, on peut voir à l'intérieur et à la base des murs des conduits carrés où durent être noyées des poutres en bois. C'était de la maçonnerie armée, qui empêchait la déformation des assises.

Il reste de ce temps cruel une légende qui évoque "la nuit de l'Espinasse" et dit que ce bourg fut entièrement "englouti au fond des enfers, dans un bruit effroyable, entrainant avec lui le Baron maudit du lieu". C'est un Huguenot qui parle ! On dit aussi "que pendant les longues et froides nuits d'hiver, on entend souvent, autour de l'ancien donjon, des bruits confus de chars qui roulent, des cloches qui sonnent, d'enfants qui pleurent" ; que les voyageurs attardés voient sur les bords humides de la Tessonne "une femme en long voile blanc qui gémit tristement en regardant couler l'eau du torrent" ; que "c'est l'ombre de la ville de l'Espinasse qui, sur ses ruines, pleure sa plendeur passée".

Si les relations du Donjon avec Paris étaient assez peu fréquentes, la liaison avec Lyon était assurée par un courrier. A Châteauneuf-en-Brionnais, sur son parcours, une importante auberge-relais subsiste, qui dut avoir à héberger bien des Donjonnais. C'est "l'auberge de la Croix-Blanche".